« Le travail à domicile doit correspondre d’abord au choix et désir du conseiller en clientèle », Didier Ferrier, fondateur d’Eodom

Didier Ferrier - © Edouard Jacquinet

Les innovateurs en matière de service et d’expérience client sont-ils en bonne forme ? Et si oui, à quoi doivent-ils leur bonne santé ? Ont-ils été suffisamment compris, repérés dans leurs années de jeunesse, quand il aurait été bien nécessaire que l’aide de grands groupes leur apportât confiance et premiers chiffres d’affaire ? Quel a été leur chemin et comment conservent-ils « l’inspiration » quand de nombreux concurrents ont cédé aux sirènes de l’achat par un partenaire riche et installé ou sont morts au combat ? 

En-Contact profite de l’été et des premiers enseignements qu’on peut tirer de la période passée- pour solliciter quelques Maverick* du secteur. En suggérant, pour chacun d’entre eux, une bande son qui évoque le sujet et leur parcours. Episode 1 avec le fondateur d’Eodom, premier des prestataires à avoir songé que l’agent de service client à domicile aurait du sens. L’agent indépendant !  Si ça n’est pas de l’innovation ça, je mange mon chapeau. La BO en illustration de cette contribution : Thrasher * de Neil Young.

En-Contact : Le confinement a installé le télétravail comme une alternative sérieuse et tu as été le 1er à y croire, en 2007, pour assurer du service client. Que t’a appris le fait d’être en avance ?
Didier Ferrier : La technologie permettant le travail à domicile dans la relation client (ce qu’on appelle le homeshoring) était déjà opérationnelle depuis des années. Tous les acteurs du marché ont pu ainsi la mettre en place assez rapidement, et dès le 1er confinement en 2020. Notre avance sur le sujet de la gestion de l’activité de relation client depuis le domicile nous a appris que la gestion humaine d’un conseiller à distance est le point le plus important, bien au-delà des outils. Nous n’avons jamais cru au télétravail total des salariés et les différentes tentatives du passé ne se sont pas imposées ; certaines ont même disparu. Après les périodes de confinement obligatoires, nous avons observé toutes les entreprises chercher le bon « dosage » de télétravail, en privilégiant, d’abord, leurs propres intérêts. Certaines tentent de l’imposer à leurs salariés sans prendre en compte leur souhait et risque de subir des démissions massives, malgré une notoriété mondialement incontestable. Cela démontre ce que nous avions appris avant la crise : le travail à domicile doit correspondre d’abord au choix et désir du conseiller en clientèle. Le modèle d’Eodom avec des indépendants choisissant de réaliser leur activité à domicile est par construction un modèle de travail à domicile choisi et non subi et qui répond à leurs besoins comme à ceux des clients.

Le modèle social de l’indépendant, de l’autoentrepreneur rémunéré à la mission, a également été au cœur de la promesse d’Eodom. Il n’est pourtant toujours pas ressenti comme un point sécurisant. Comment expliquer ce point ?
Certains agents indépendants qui réalisent des prestations pour Eodom ont pu bénéficier, lorsque leurs contrats s’arrêtaient, de dispositifs de soutien mis en place par l’Etat. La majorité d’entre eux ont su saisir les opportunités qu’offrait cette crise sans précédent et ont vu leur chiffre d’affaires augmenter de façon importante durant la période. Leur engagement nous a permis d’accompagner nos clients face à l’augmentation du besoin et même d’acquérir de nouveaux clients en pleine crise. Nous ne cautionnons pas cette idée dépassée de la sécurité d’un modèle social par rapport à un autre.

Sur quoi bute alors la croissance de l’entreprise : le recrutement de clients, d’agents, le juste prix à faire accepter aux marques et donneurs d’ordre ?
Eodom connait une croissance soutenue, uniquement organique ; je n’identifie pas de véritables freins. Et je constate que les croissances spectaculaires constatées sur le marché de la relation client sont souvent le fruit de croissance externe. Nous avons acquis régulièrement de nouveaux clients et la période actuelle, qui a fait grandement évoluer la perception du travail à domicile et le besoin de flexibilité, est très porteuse pour nous. Nous sommes très confiants sur la pertinence de notre modèle et sur notre croissance future.

Tu vis partiellement au Québec. Quel regard portes tu sur la France, grâce à cet éloignement partiel ?
Je partage l’idée que la France a tout pour réussir ! (Cela n’est pas de moi). Je constate parallèlement en Amérique du Nord une relation des acteurs aux affaires bien moins émotionnelle. Choisir un nouveau fournisseur de relation client est un acte de gestion comme un autre et non un choix émotionnel engageant le décideur de façon intime. Je peux l’illustrer de la sorte : si au restaurant le plat ne me convient pas je ne reviens pas car cela ne me correspond pas ; je n’ai pas le sentiment que l’on se moque de moi et que l’on m’a pris pour un idiot. Cela permet un dynamisme de marché qu’il est parfois difficile de constater en France.

*individu, personne non conformiste,

I searched out my companions, they were lost in crystal canyons (…) How I lost my friends i still don’t understand * (Thrasher, Neil Young)

Eodom, acteur précurseur du travail à domicile avec des indépendants, connait une croissance forte depuis 2019. Reconnue pour son expérience, la société est de plus en plus sollicitée par ses clients et de significatifs acteurs des services clients en France. L’entreprise devrait connaitre, grâce à son modèle de travail à domicile choisi et non subi, une croissance de près de 30% en 2021 et compte doubler son chiffre d’affaires d’ici cinq ans. Après avoir songé à des mariages ou une acquisition par un groupe ou acteur du secteur de taille plus significative, son équipe de management et les associés historiques de l’entreprise semblent désormais privilégier une croissance en solo.

*Dans un morceau de son album Rust Never Sleeps, sorti en 1979, Neil Young raconte dans Thrasher, morceau merveilleux, comment son chemin d’artiste s’est petit à petit éloigné de celui de ses compères célèbres Crosby, Stills and Nash. La chanson parle donc de l’intégrité, artistique mais pas uniquement.  

…They had the best selection, they were poisoned with protection
There was nothing that they needed, they had nothing left to find
They were lost in rock formations or became park bench mutations (…)
So I got bored and left them, they were just deadweight to me
It’s better on the road without that load

Tout l’album évoqué a été enregistré live et ce titre le fût à la Boarding House à San Francisco, le 26 mai 1978. C’est le premier album, depuis Zuma (1975) où Neil Young retrouve son groupe The Crazy Horse. Pour écouter ou découvrir Thrasher, c’est là…

Propos recueillis par Manuel Jacquinet

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